FIGAROVOX/TRIBUNE - Ce mardi, en
visite en Bretagne, Manuel Valls a été giflé par un jeune homme. Pour le
philosophe Bertrand Vergely, ce geste, loin d'être anodin, est
révélateur de l'ambiance de la société à l'égard du monde politique.

Notre ex-Premier ministre a été giflé hier par un jeune Breton. Pour des raisons de salut collectif, il ne saurait être question de laisser passer ce geste inadmissible qui doit être sanctionné comme il se doit. Quand, ayant un désaccord avec quelqu'un on le tue, cela s'appelle du fanatisme et derrière lui de la barbarie. Quand on entreprend de s'expliquer avec lui, cela s'appelle de la démocratie. Entre les eux, quand on le gifle, cela s'appelle de la voyoucratie.
Si la claque sert à sanctionner le fautif et la baffe à fermer le bec à qui pourrit la vie, la gifle sert à humilier. D'où son côté voyou, celle-ci exprimant le sans-gêne du voyou qui se permet tout et à qui rien ne doit résister. À la Santé, pour conforter son statut de grand truand, Jacques Mesrine, notre ex-ennemi public numéro un, giflait ses gardiens en leur disant «Alors, on ne dit pas bonjour!».
La gifle qu'a reçue Manuel Valls de la part de ce jeune Breton relève d'un geste voyou révélateur de l'ambiance de la société à l'égard du monde politique. Au café du commerce, sur les réseaux sociaux et dans les médias, que de discours se permettant tout à propos des politiques! Que de voyoucratie ordinaire au bord des comptoirs et des ondes! Rien d'étonnant, dans ces conditions, qu'un jeune aille gifler un ex-Premier ministre. En agissant ainsi, il fait ce que nombre de Français rêvent de faire sans oser le faire. Il est leur vengeur, leur justicier, leur héros, à la façon dont, pour les damnés de la terre, le terroriste est leur héros vengeur et justicier.
Il faut donc sanctionner le geste dont a été victime Manuel Valls. Mais, il faut aussi méditer. Il y a des moments où une gifle est nécessaire. Lorsque François Bayrou a giflé le petit voyou qui lui faisait les poches, la pensée unique qui nous gouverne s'est étranglée d'indignation en voyant là une agression anti-jeune et anti-banlieue proprement intolérable. Les Français, moins bêtes, ont vu là l'acte courageux d'un homme responsable qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Ce qui l'a fait remonter dans les sondages. En cela ils ont été plus intelligents non seulement que la pensée unique mais que l'Europe, pour qui une fessée est désormais un délit.
Par ailleurs, au-delà du coup de semonce, la gifle est synonyme d'énergie en servant à réveiller ceux qui sont engourdis par le froid et dont le sang ne circule pas (c'est de saison), ceux qui sont évanouis ou bien encore ceux qui dorment moralement. À ce titre, il y a, dans le geste du jeune Breton à l'égard de Manuel Valls, une symbolique énergétique qu'il ne fait pas sous-estimer.
Ainsi, chercher à donner une gifle à un homme énergique comme Manuel Valls, notre Bonaparte postmoderne, qu'est-ce sinon chercher inconsciemment en retour à être giflé par lui, réveillé, «boosté», comme on dit, par un coup de fouet vigoureux? Les adolescents cherchent le Père, rappelle la psychanalyse.
On dit les jeunes indifférents à la politique. Grossière erreur. Quand on en vient à gifler un politique, c'est qu'on a soif de politique et qu'on désespère de ne pas voir son énergie apparaître. La démocratie ne doit pas se laisser envahir par la voyoucratie. Mais, il ne faut pas oublier que la jeunesse est en quête d'énergie et qu'il appartiendra, entre autre, au futur Président de lui en donner.